
faire quelque chose pour son quartier. Il appartient d'ailleurs à une coopérative qui assure la propreté de Walmer. Depuis quelques années, les bidonvilles d'Afrique du Sud, réputés pour leur misère, leur taux de criminalité, de chômâge et de malades du sida, s'ouvrent vers l'extérieur.
Un peu particulier que d'aller découvrir la pauvreté de ces laissés pour compte d'un apartheid racial et aujourd'hui pour le moins socio-économique. Depuis quelques années, des agences touristiques proposent de visiter les bidonvilles sud-africains. Le concept n'est pas neuf. Les favelas brésiliennes s'étaient déjà, elles aussi, ouvertes aux touristes, offrant même la possibilité d'y passer la nuit afin de découvrir les conditions de vie des habitants.
Mais qu'en retirent réellement les populations concernées ? La réponse n'est pas tranchée. Pas plus que le jugement que l'on peut porter sur ce type d'initiative, tant les motivations des différents protagonistes et surtout la manière dont sont menés les projets sur le terrain, sont multiples et complexes. Certaines agences proposent des tours de township (celui de Soweto où vécut Nelson Mandela étant le plus prisé) en cars sécurisés ou taillés sur mesure selon leur impudique jargon commercial : on appelle cela du « reality-tourism ». D'autres affirment vouloir tirer parti d'une activité économique qui peut donner un petit coup de pouce à une communauté peu gâtée par la vie : on appelle cela du tourisme « pro-pauvres »*. Entre les deux : un monde de différence, même si personne ne peut se targuer d'éviter à 100 % tout risque de dérive (récupération ou mafiotisation du projet).
Mais voici l'histoire de quelques habitants d'un township encore « peu touristique », décidés à s'en sortir grâce à leurs projets. Certains attendent beaucoup du tourisme, d'autres ont déjà pu bénéficier d'un petit coup de main venant de l'extérieur. Dans tous les cas, le contact avec les voyageurs s'avère utile pour l'instant.
De nouvelles maisons
Walmer est né sur les cendres d'une ancienne ferme, à la fin du XIXe siècle. Ce serait le Duc de Wellington himself qui lui aurait donné ce nom ! Depuis, la bourgade côtière de Port Elisabeth s'est étendue et l'apartheid a relégué les populations noires paupérisées au cœur des townships qui ont poussé comme des champignons. Walmer n'est pas situé en banlieue, comme nombre d'entre eux, mais au cœur de la ville, à proximité des beaux quartiers peuplés majoritairement de blancs. Comme dans le reste de la région, il est surtout habité par des Xhosas. Malgré nos conditions de vie, le fait que nous regardons la télévision à l'aide de batteries de voitures, nous avons conservé certaines de nos traditions ancestrales, précise Mzoliswa, soucieux de transmettre un peu de sa culture et de montrer le meilleur de son quartier. L'espace vert qui jouxte le township nous permet par exemple de perpétuer le rite de l'initiation que les jeunes Xhosas doivent subir pour devenir des hommes. Normalement, ils sont envoyés dans le bush pour la circoncision et y passent un mois seuls. Pour nous, ce petit espace vert remplace le bush. Juste en face de ce coin de verdure, un nouveau quartier de maisonnettes toutes neuves émerge de l'océan de tôles ondulées. Aujourd'hui, le gouvernement offre des maisons aux
plus mal lotis afin de tenter d'enrayer la pauvreté et d'apporter un peu de confort dans cette ville où la plupart des habitations souffrent encore du manque d'eau courante et d'électricité. Ce sont prioritairement les jeunes couples et les habitants qui ont participé aux travaux de construction qui bénéficient en premier lieu de l'un de ces 300 nouveaux logements. Gladis et ses filles sont fières de nous montrer leur maison construite par l'État. Pas grande, à peine deux ou trois pièces ! Mais il y règne une certaine atmosphère où chaque objet a sa place et contribue à créer un lieu d'accueil familial. Grande nouveauté depuis la fin de l'apartheid : ceux qui ont un travail fixe peuvent désormais demander un crédit hypothécaire, chose inimaginable auparavant ! Un petit souffle d'espoir. Et tant pis si certains préfèrent continuer à vivre dans leur taudis et louent leur maison toute neuve, plutôt que de l'habiter. L'argent, c'est le nerf de la guerre. Ici encore plus qu'ailleurs !
Pourtant, plusieurs projets sont portés, pleins d'espoir, par une poignée de Walmériens. Il y a tout d'abord ces nouvelles serres qui ont été érigées par les femmes grâce aux microcrédits octroyés par la municipalité. Plusieurs grands-mères du township y ont créé un potager pour nourrir leurs enfants. Peut-être pourront-elles même en retirer un petit revenu. La méthode a fait ses preuves dans d'autres townships d'Afrique du Sud, alors pourquoi pas ici ? Mais d'autres projets germent encore dans les têtes des habitants de Walmer, aussi sont-ils très contents de recevoir des étrangers aujourd'hui.
Un B&B dans mon township
Pour la soirée, Mzoliswa nous emmène dans un shebeen, sorte de café resto clandestin où les habitants du coin se réunissent. En entrant dans la cour de la gargote, la musique explose soudainement. Une vingtaine d'ados envahissent cet espace confiné pour nous offrir un spectacle mêlant danses africaines traditionnelles et expression corporelle contemporaine. Les corps musclés expriment une énergie folle proche de la transe, avivée par le rythme du tambour de Florence, leur prof. Vêtus d'un pagne traditionnel, le visage couvert d'argile, les jeunes occupent l'espace avec grâce et dynamisme. Les filles, un large sourire fendant leur visage, jupettes en coton et Converse aux pieds, se lancent dans une Pantsula. Inspirée de la rue, cette chorégraphie basée sur des mouvements rapides de bras et de jambes rappelle un peu le hip-hop. La Pantsula est d'ailleurs bien plus qu'une danse, c'est toute une culture née au cœur des townships durant le régime de l'apartheid. Pour les gosses d'African Renaissance, danser est un exutoire, mais aussi une alternative à d'autres voies tournées vers la criminalité, la violence et l'argent facile de la drogue (voir encadré). Après quelques minutes, au vu de la dextérité de leur prestation, on comprend vite que ces jeunes-là n'en sont pas à leur
coup d'essai. Ils dansent comme le faisaient leurs aïeux, mais ils apportent aussi leur touche et leur créativité personnelles. Ils se sont créé leur univers à eux !
Dans le shebeen, les adultes expliquent les projets portés par tout ce petit monde. Nous avons créé l'Ikhaya tourism forum afin d'essayer de réduire la pauvreté et faire de ce township un exemple. Ici, il y a des problèmes de violence, de sida et d'instabilité familiale, donc nous misons beaucoup sur l'éducation des jeunes. Mais nous aimerions aussi attirer des touristes. Nous souhaitons qu'ils viennent ici sans crainte ! Nous avons déjà eu la visite de musiciens et golfeurs célèbres, vous savez ? Nous avons même ouvert un B&B qui a reçu la licence officielle d'un 2 étoiles. À présent, nous attendons que les instances touristiques reconnaissent notre forum et nos projets. Nous espérons éradiquer la pauvreté grâce à ces activités et servir d'exemple à d'autres, explique Milisana Ngcivana, la responsable de l'Ikhaya community based tourism forum. C'est également elle qui est à l'origine du B&B. Cet hôtel propret, qui a ouvert ses portes l'année dernière, Milisana en rêvait depuis dix ans ! Mais n'ayant pas le budget ni les crédits nécessaires, elle l'a construit petit à petit, sou après sou. Équipe de quatre chambres, il a déjà accueilli une famille norvégienne. Les enfants se sont bien entendus avec ceux de Walmer, ils s'amusaient et dessinaient ensemble et cela a créé une belle atmosphère
durant leur séjour, raconte-t-elle avec l'espoir que cette expérience se renouvelle Et quand on lui demande si elle n'a pas peur que Walmer soit envahi par une horde de touristes condescendants, avides de contempler la pauvreté du township, elle répond, un peu étonnée, que non, qu'elle souhaite simplement apporter un peu de vie, d'activité et de normalité à son quartier. Pendant ce temps, le dîner est servi dans les assiettes en poterie réalisées par deux femmes qui ont récemment ouvert leur petit atelier au cœur de Walmer. Au creux de l'assiette, une inscription qui en dit long : African Dream
*Le concept de tourisme pro-pauvres (Pro-poor tourism (PPT), en anglais) fut employé pour la première fois en 1999 par le British Department for International Development dans le Rapport de la Commission sur le développement durable. Il se définit comme un tourisme qui génère des bénéfices nets pour les pauvres, dans le domaine économique, social ou environnemental.
Les mômes de Florence
Tout a commencé en 2001, grâce à un petit bout de femme bourré d'énergie : Florence Mtenjwaene, elle-même enfant de Walmer. C'est en voyant les mômes traîner sans but dans les rues, plonger dans la drogue et la délinquance, qu'elle décida de les occuper vaille que vaille. Et comme c'est la danse et la musique qui inspirent sa vie depuis toujours, elle leur a enseigné ce qu'elle savait.
À 14 ans, j'ai rêvé que j'étais sur une scène avec plein de spectateurs. C'était peut-être prémonitoire... À l'époque, ma mère m'avait d'ailleurs conseillé de fonder un groupe. Ce groupe existe aujourd'hui : African Renaissance Dancers est né en 2001 et réunit des mômes âgés de 8 à 18 ans. Leurs premières scènes furent les plages de Port Elizabeth, mais aussi l'aéroport, lieu de passage intense. Et un jour, une fée passa par-là À la tête d'une agence de tourisme, Myriam, une Belge installée à Port Elisabeth depuis quelques années, attend ses clients. Fascinée par la prestation et l'énergie des petits danseurs, elle se dit qu'ils pourraient danser pour accueillir ses touristes. Avec l'argent récolté, nous avons pu acheter des tenues pour nos spectacles, mais cela sert aussi à payer l'école et certains de leurs repas, car nombre d'entre eux sont vraiment très pauvres, explique Florence. Lle groupe s'est produit dans plusieurs villes du pays, notamment à Johannesburg et au Cap. Mais la plus belle reconnaissance est venue de l'étranger. Remarqués par le producteur de festivals américains Quint Davis en 2003, ils furent invités l'année suivante au New Orleans Jazz & Heritage Festival. ! Il leur a fallu travail et patience pour accumuler les fonds nécessaires pour acheter leurs billets d'avion et les visas. Beaucoup
d'enfants ne possédaient pas de passeport et n'avaient jamais voyagé en avion. Certains n'avaient même pas de certificat de naissance ! Ce n'est pas toujours facile. Outre le respect des valeurs morales, j'essaye de les empêcher de gâcher leur vie bêtement avec la délinquance, le sida et les grossesses non désirées. African Renaissance leur a aussi permis de se construire une identité et de perpétuer certaines traditions ancestrales. Ils dansent le pantsula, mais je leur apprends aussi les danses zulu et xhosa traditionnelles, des danses qui sont en relation avec leurs racines. C'est important pour des jeunes qui n'ont jamais connu rien d'autre que le township.
Le Pantsula (P = Passion, A = Anger, N = Naughty, T = Trustworth, S = Strength, U = Unique, L = Love, A = African) est une danse de rue née dans les années 50 au cœur des townships où les Tsotsis, les Bad boys, imposèrent leur style inspiré des films américains de l'époque. La danse leur servait de moyen de communication et chaque pas symbolisait un objet ou une situation de la vie quotidienne.
Texte et photos par Sandra Evrard. voir http://www.blogger.com/www.victoiremag.be